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Martinique et Guadeloupe : la reconnaissance du préjudice moral d’anxiété des personnes exposées au pesticide chlordécone

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Par un arrêt n° 22PA03906 du 11 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Paris condamne l’Etat à réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à la pollution au chlordécone.

Près de 1 300 personnes, l’association Vivre Guadeloupe, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et le collectif Lyannaj pou Depolye Matinik demandaient à la Cour administrative d’appel de Paris d’engager la responsabilité de l’Etat pour avoir autorisé l’utilisation de pesticides composés de chlordécone entre le 29 février 1972 et le 30 septembre 1993 dans les bananeraies guadeloupéennes et martiniquaises, contaminant durablement les sols, l’eau et la chaîne alimentaire.

La Cour rappelle que plusieurs alertes auraient dû inciter l’Etat, dès la fin des années 1970, à procéder à des contrôles afin de déceler la présence de la chlordécone dans les sols, les eaux et les végétaux : 

  • le rapport Snegaroff de 1977 ;

  • le rapport Kermarrec de 1980 ;

  • le classement du chlordécone comme cancérigène possible chez l’homme par le centre international de recherche sur le cancer en 1979 ;

  • l’interdiction de son utilisation aux Etats-Unis en 1977, en Suède en 1978 et en République fédérale d’Allemagne en 1980.

Ce n’est pourtant qu’en 1990 que ce pesticide a été interdit en France. 

C’est ainsi que le chlordécone, polluant organique persistant dans l’environnement a été autorisé « dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe pendant plus de vingt ans, s’est propagé dans les sols, notamment, en raison de ses propriétés de persistance et de bioaccumulation, dans des terres éloignées des bananeraies et a progressivement pollué les végétaux, y compris les cultures des jardins familiaux, les eaux potables et maritimes, et a atteint la chaîne alimentaire. »

Dans ce contexte, la Cour reconnait que la population résidant en Martinique et en Guadeloupe a été « exposée de manière chronique à la pollution rémanente par le chlordécone , ainsi que l’a démontré l’étude Kannari du 17 octobre 2018, déjà citée, selon laquelle 90 % de la population présentait, en 2013, une concentration détectable de chlordécone dans le sang ». 

Elle retient également qu’en l’état actuel des connaissances, l’exposition au chlordécone est associée à un risque significativement augmenté de survenue d’un cancer de la prostate et de récidive de cette maladie et, en cas d’exposition pré et postnatale, à un risque accru de naissance prématurée et un risque d’impact sur le développement cognitif et le comportement de l’enfant.

Par suite, la Cour examine la situation de chacun des requérants, en rappelant que « la personne qui recherche la responsabilité de l’Etat et qui fait état d’éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective à la pollution par le chlordécone des sols, des eaux et de la chaîne alimentaire en Martinique et en Guadeloupe susceptible de l’exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l’anxiété de voir ce risque se réaliser. Il en va de même en présence d’un risque élevé de réduction de la durée de grossesse et de survenance d’un accouchement prématuré qui peut provoquer de graves complications chez l’enfant, voire son décès, et en présence d’un risque élevé de voir son enfant à naître développer des troubles neurodéveloppementaux. »

Sur la base de ce raisonnement, la Cour retient, pour quelques-uns des requérants ayant apporté des éléments suffisants tels que des dosages sanguins et des analyses de sols, la responsabilité de l’Etat et la réparation du préjudice d’anxiété qui résulte de la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave. 

En revanche, la Cour rappelle que la seule invocation d’une exposition au chlordécone, indépendamment de ses conséquences personnelles et en l’absence de justification les étayant de façon individuelle, ne permet pas de justifier d’un préjudice réparable.

Zone(s) géographique(s) :
Date :
11/03/2025
Type d'actualité :
Juridique