Chlordécone en Martinique : condamnation de l’Etat à indemniser deux anciennes ouvrières agricoles pour leur préjudice moral d’anxiété.
Le 12 mai 2025, le tribunal administratif de la Martinique a rendu deux jugements n°2400006 et n°2400546 condamnant l’Etat à indemniser deux anciennes ouvrières agricoles à raison de leur préjudice moral d’anxiété pour avoir été exposées directement au chlordécone.
Dans la lignée de l’arrêt n° 22PA03906 du 11 mars 2025 par lequel la Cour administrative d’appel de Paris avait déjà condamné l’Etat à réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à la pollution au chlordécone (voir aussi ici), le tribunal administratif de la Martinique l’a également retenu pour deux anciennes ouvrières agricoles.
Celles-ci ont travaillé pendant plus de 30 ans dans des plantations de bananes situées au Lamentin. Elles sont intervenues à toutes les étapes de la culture des plants, sans aucun matériel de protection, réalisant notamment des tâches d’épistillage, de dépattage, de dégagement, d’arrimage et de mise en place des polyficelles des plantes, et participant également à l’épandage manuel du chlordécone dans les zones de cultures.
C’est dans ce contexte qu’elles ont saisi le tribunal administratif de la Martinique en vue d’engager la responsabilité de l’Etat pour les préjudices qu’elles ont subi, à savoir, pour l’une, un cancer au niveau du côlon, pour l’autre, une kératite ulcérative périphérique, et pour les deux un préjudice d’anxiété.
Le tribunal administratif a d’abord reconnu que « l’Etat a commis une série d’illégalités fautives de nature à engager sa responsabilité, d’une part, en autorisant la vente du « Kepone 5 % SEPPIC », entre le 19 février 1972 et le 5 mai 1980, puis du Musalone et du Curlone, du 27 février 1981 et 30 juin 1981 jusqu’à leur interdiction le 26 août 1990, d’autre part, en délivrant après cette date des dérogations afin d’autoriser les planteurs de bananiers à utiliser leurs stocks restants de Curlone jusqu’au 30 septembre 1993 et, enfin, en ne prescrivant pas l’interdiction des produits parasitaires à base de chlordécone à la suite des évènements survenus à Hopewell à l’été 1975 ».
Ensuite, le tribunal administratif a refusé de reconnaître les préjudices liés aux maladies développées par les requérantes, ces dernières n’établissant pas que les pathologies développées présenteraient un lien quelconque avec leur exposition au chlordécone.
Enfin, le tribunal administratif a retenu le préjudice d’anxiété de développer des pathologies graves pour chacun des requérantes, celles-ci faisant état d’éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition chronique effective au chlordécone susceptible de les exposer à un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, leur espérance de vie diminuée, « laquelle exposition est en lien direct avec les fautes commises par l’Etat ».
Dans les circonstances de l’espèce, le préjudice a été évalué à la somme de 10 000 euros que l’Etat devra donc payer à chacune des requérantes.